Chaque jour une chanson que je partage avec vous amis lecteurs.
Une chanson en fonction de mon humeur ou de l'actualité du jour.
Une chanson pour danser, pleurer ou tout péter.
Une chanson pour aider à affronter la journée.
Et puis bon, dans le RER, quand arrive le solo joué par Prince, on sent la tension qui monte, les doigts qui tricotent les cordes, le groove, les yeux fermés, cette gratte, les notes qui explosent et s'envolent, la guitare et là, j'ai ouvert les yeux et j'ai vu que plein de monde (parce qu'il y a toujours plein de monde dans les RER) me regardait l'air ahuri ou paniqué.
D'abord, je pensais qu'on regardait derrière moi et en fait, non, on me regardait moi.
Mais c'est quand j'ai vu mes mains, que j'ai compris.
La chanson courait toujours dans mes oreilles.
Embarqué par le solo nucléaire du sa majesté, je faisais du Air Guitar.
Tout seul.
Dans un RER.
EN FERMANT LES YEUX.
Là, le choix est rude puisque si on s'arrête subitement en se rendant compte que non, les gens dans le RER ne sont pas en train de secouer la tête comme des fous en vous admirant mimer de la guitare -et sans le son en plus, puisqu'il est dans vos oreilles et pas dans les leurs- vous abdiquez, vous admettez que vous êtes un original détraqué total qui vit seul avec des serpents et tout le monde vous regardera avec la crainte de vous voir subitement leur sauter dessus pour leur arracher la carotide avec les dents.
Si vous continuez, vous aurez honte de vous-même.
J'ai donc voulu m'arrêter progressivement et feindre la fin de la chanson qui hurlait encore dans mes oreilles.
C'est très bizarre de faire du Air Guitar non naturel. Du Air Guitar réfléchi, quoi. Pas improvisé.
Je me rend compte que j'atteins le milieu de la trentaine aux personnes que je croise lors des soirées.
Dans votre jeunesse folle et analphabète post-baccalauréat / étudianto-révolto-alcoolique, vous croisez généralement des gens qui sont à peu près comme vous.
Jeunes, révoltés, étudiants et alcooliques.
Alors généralement, en soirée, vous vous retrouvez face à un étudiant en lettres ou en histoire (ou socio, psycho, et beaucoup de filières qui finissent en -o) qui vous dit, entre deux bouffées de fumée, que "non mais ouais, tu vois, notre société est bâtie entièrement sur la propriété privée et l'aliénation mentale de la masse. C'est naze, quoi..."
Dans ces moments-là, le mec en question (et qui est souvent le plus original de le bande.) a les cheveux longs, lit du Roland Barthes ou du Naomi Klein et écoute ce petit groupe punk pas connu mais super fort de Saint Etienne. L'aventurier, quoi.
et vous acquiescez promptement entre deux gorgées.
Puis le temps passe.
Et comme je pense que finalement, ma vie n'est pas si ratée, je me dis qu'il est temps de l'expliquer au monde.
Du coup, en soirée, je rencontre des gens, et alors que je m'apprête à leur balancer ma vie dans la tronche, à un moment donné, parfois, ça donne ça:
Moyen: "Non, je ne suis pas Parisien, je viens de Toul. C'est cool. Et toi?"
Interlocuteur: "Je suis Colombien, mais en ce moment, j'habite à Brooklyn. Je suis en tournée avec mon groupe, parce que je suis musicien. J'adore l'Europe, c'est si dynamique. Et c'est beau. Mais l'endroit le plus beau que j'ai vu, ce sont les hauts plateaux du Pérou. C'est magnifique. J'ai écris des chansons, là-haut. Et Le Viet-Nam. C'est incroyable, la jungle et les rizières et les gens sont curieux. Adorables. Et les grandes plaines d'Afrique. Les fauves. Mais j'aime Brooklyn. On y croise le Monde. Jay-Z était mon voisin. Tu connais les hauts plateaux du Pérou?"
Moyen: "Heu. Je connais bien le plateau de Malzéville."
(Note pour toi, lecteur, lectrice, Scarlett: le plateau de Malzéville, c'est le Kilimandjaro du 5-4. Le K2. L'Eiger. Et nul ne peut se prétendre adulte si il n'a pas pris une cuite au plateau de Malzéville.)
(Il est évident qu'à ce moment-là, je relativisais vachement l'idée d'avoir "pas trop mal réussi ma vie" et j'hésitais fortement entre l'envie de lui faire chier ses dents et celle de lui demander de me présenter Jay-Z....)
Ou alors, tout regonflé de mes pérégrinations aux 432 ... Bon, au petit coin du monde que j'ai visité, je m'avance, confiant, tonitruant que j'adore voyager.
Forcément, lorsque l'on me répond "Oh oui, j'adore, j'ai fait le tour du Monde. Deux fois." ou "Ah oui, j'ai fait plein de voyages en bateau. Et même une transatlantique." et que tout ce que je peux répondre, c'est que j'ai été à New-York. Comme tous les gens qui "aiment voyager" (évidemment, je suis mauvais langue. J'ai fait un road trip dans l'Ouest des Etats-Unis, traversé une partie de l'Ecosse à pieds et à dos de barriques de Whisky, admiré les merveilles d'Istanbul-la-magnifique et escaladé le plateau de Malzéville, mais je dois avouer que comparé aux exemples précédents, c'est comme si je disais à un type qui a fait l'Everest que j'aimais l'escalade en lui parlant du plateau de Malzéville.
Oui, on en croise des gens en soirée. Et ils sont tous différents.
Presque autant que ceux que l'on croise en voyage.
Non, je n'aime pas forcément les coups, les ecchymoses et le sang.
Non, je ne me nourrit pas de violence.
Non, je ne suis pas en extase devant deux corps noueux, tendus de muscles, huilés, chauds, glissants, qui se collent l'un à l'autre dans un ballet grotesque d'esquives et de bourre-pifs.
Non, c'est plus que ça.
J'aime la boxe, pour ce qu'elle a de primitif et de terriblement complexe, à mi-chemin entre la négociation préhistorique à coups de gourdin sur le voisin et les échecs de Kasparov.
J'aime la boxe pour la détermination de deux types qui ont souffert dans une salle de muscu et qui veulent prouver aux autres qu'ils sont les plus forts.
Les plus forts dans la tête, surtout. Les plus impitoyables. Les plus motivés. Les plus courageux.
Deux mentals d'acier qui se détruisent à coup de masses dans la tronche.
Si le rugby est un sport de voyous joué par des gentlemans, la boxe est un sport de gentleman joué par des voyous.
Des tronches de repris de justice, des cerveaux de tracto-pelles.
Pour certains, comme Floyd Mayweather, de véritables hommes d'affaire.
Mais surtout des pitbulls en rut. La virilité en avant, les crocs dehors.
Mais les plus grands, vous les voyez grands sur et en-dehors du ring.
Jean-Marc Mormek, Lennox Lewis, Wladimir Klitschko, George Foreman, Mike Tyson, Sugar Ray Leonard, Jake LaMotta, Evander Holyfield.
Et le plus grand de tous, Mohammed Ali.
Autant de légendes de leur sport, autant de destins brisés comme les mâchoires ou de vies réussies à la force des poings.
Et de la tchatche.
Alors en attendant 03h00 du matin, je vous propose mes chansons de boxe préférées...
Hommage à Rubin "Hurricane" Carter, boxeur emprisonné sur la foi d'un procès douteux, couvert de racisme latent.
En moins de 10 minutes, Dylan balance un uppercut à sa façon avec cette guitare folk et un groove poids lourd.
Un chef-d'oeuvre.
Mama said Knock you out / LL Cool J
Forcément, dans la case égo éléphantesque et punchlines terrassantes, les rappeurs se devaient de reprendre l'imagerie de la boxe. Même origines commune, la rue, même moyen d'élévation social par l'égotrip,
Ici, LL Cool J cite Mohammed Ali. Humblement.
The Hitter / Bruce Springsteen
Bruce "The Boss" (ça sonne comme un nom de boxeur) Springsteen, la voix de l'Amérique des cols bleus, des travailleurs, ouvrier, trimeurs en usine, syndicalistes, devait forcément parler de ces mythes américains, nés de la poussière et des prisons, dont l'imagerie replonge jusqu'à la grande dépression, avec ses combats clandestins, ses os brisés, ses estropiés et ses orphelins.
Il écrit The Hitter pendant la tournée du Ghost of Tom Joad en 1996 mais ne la sort que 10 plus tard sur le splendide Devils and Dust. Un titre d'album qui pourrait résumer toute l'histoire de la boxe.
The Boxer / Simon & Garfunkel
Parce que vous pensiez sérieusement y échapper?
The Champ is Here / Lupe Fiasco
Comme quoi, Mohammed Ali reste le premier rappeur.
Lupe Fiasco, l'anarchiste, le sample directement pour son titre. The Champ is here chantait Ali en frappant ses congas.
Eye of the Tiger / Survivor
Vous pensiez sérieusement y échapper, bis ?
You beat me to the Punch / Mary Wells
Parce que oui, évidemment, les filles peuvent aussi parler boxe. Surtout quand elles parlent d'amour.
I Think i can beat Mike Tyson / Jazzy Jeff & The Fresh Prince
Avant de faire le clown sur les écrans, Will Smith faisait le clown dans le micro.
Au point d'imaginer qu'il pouvait battre Iron Mike...
Gonna Fly Now (Rocky OST) / Bill Conti
La chanson qui vous fait partir heureux le matin au boulot, qui vous fait soulever les meubles tout seul, changer un roue de bagnole sans cric ou nettoyer votre salle de bain sans pause.
La chanson qui m'a fait monter TOUTES les marches du sacré-coeur (presque) en courant.
Enfin, je vous conseillerai évidemment de regarder Raging Bull, le chef-d'oeuvre de Martin Scorsese sur la vie terrible de Jake LaMotta, When We Were Kings, le documentaire incroyable de Leon Gast sur le combat Ali - Foreman à Kinshasa, Zaïre, LE Combat du siècle (et je rajoute pour la peine le formidable livre Le Combat du Siècle de Normal Mailer.) où chaque phrase sortie par Mohammed Ali résonne comme un discours de Martin Luther King.
Mais aussi Le Champion, avec Kirk Douglas ou Body and Soul de Robert Rossen.
Et ruez-vous sur Warrior de Gavin O'Connor (avec Tom "la masse" Hardy et Joel Edgerton. Et si le film parle plus de Mixed Martial Arts (arts martiaux mixtes, une discipline qui se pratique dans une cage en forme d'octogone et non sur un ring et qui voit les combattants s'affronter en utilisant des techniques issues de divers sports de combat comme la boxe, le Muay Thaï, la lutte, le judo et qui est sujet à de vives controverses éthiques malgré son caractère entièrement professionnalisé) son traitement est tellement touchant et juste à travers le destin de ces deux combattants de middle-class qu'on dirait vraiment une chanson de Springsteen mise en image.
Donc forcément. J'aime bien.
Et qui dit Boxe, dit ring-walk, ce moment culte ou le sportif traverse la scène pour rejoindre le ring sous le regard des milliers de personnes en transe.
Un moment-clé, où tout se joue déjà, où il faut impressionner l'autre en face et lui montrer qu'on ne se laissera pas mettre en bouillie facilement.
Voici pour moi le plus beau ring walk que j'ai pu voir à la télévision.
En 2002, je veillais tard pour regarder Tyson affronter Lennox Lewis.
Et Lewis a mis tout le monde d'accord ce soir-là en faisant son entrée sur Crazy Baldheads de Bob Marley quand la plupart choisissaient des titres rentre-dedans avec des subtilités de marteau-piqueurs.
Voilà, tout ça pour vous dire que la boxe va au-delà des uppercuts et des morsures d'oreille et que si le charisme animal de Mike Tyson ou les discours de Mohammed Ali résonnent encore aujourd'hui, au milieu du bling-bling et des combattants-hommes d'affaire de l'ère moderne, c'est parce qu'il ont toujours cherché à voir au-delà de leurs poings.