samedi 22 mars 2025

634-5789 / Wilson Pickett




 9 avril 2021.

La réceptionniste du cabinet de scanner et radiologie me tend une enveloppe. 

« Tenez, voilà les résultats de votre scanner et dites-moi si vous voulez parler à un médecin. »

Ah merci, alors voyons voir, ah, des radios que je ne sais pas lire, blablacharabia… zone… blablachinoismedical…. Masse….Blablasombreblablaganglionsdégueulasses blablymphomeblabl..

Lymphome?

Lymphome?

Mais attendez, il me semble que c’est pas top ça un lymphome, dites madame ou mademoiselle, oui, je veux bien parler à un médecin. 

« Ah ben très bien, vous voyez le téléphone près de la machine à café? Quand il va sonner ce sera pour vous. »

Ah. 

D’accord. 

Je me déplace donc vers le téléphone et vous voyez à ce moment là, j’étais encore naïf. J’avais pas trop été confronté à la rigueur de cette bloody hell chienne de vie, j’avais pas de dettes de jeu ni de mauvaises relations avec une Mafia quelconque, je trouvais régulièrement de la place en terrasse, même à Paris, j’étais pas poursuivi par la maréchaussée et j avais un toit et des verres et des amis pour les vider avec moi. Donc vous voyez, je me dis que le téléphone va sonner et à l’autre bout du fil, une voix sucrée me dira d’aller au deuxième étage troisième porte à droite. 

Vraiment, j’étais naïf. 

Dring. 

Allo?

"Oui bonjour c'est à quel sujet?"

(Déjà, indice: la voix est pas sucrée. Ça part pas nickel, cette histoire.)

"Ben c'est au sujet monsieur que vous me marquez le mot Lymphome sur mon dossier (et moi c'est Moyenman)"

"Ah oui oui, Mr Moyen,  vous avez un Lymphome."

"On est d'accord qu'un Lymphome, c'est un cancer?"

"Oui oui, tout à fait."

"..."

"..."

"... Mais... Mais alors je fais quoi? Je vais voir mon généraliste qui va m'orienter vers un spécialiste, c'est ça?"

"Absolument. Et ne vous inquiétez pas, ça se soigne. Bonne journée monsieur!"

"Ah ben bonne jou-clic-raccroché.

(Notez que cette conversation est authentique. Au téléphone d'un cabinet de radiologie - scanners, à côté d'un distributeur de café. Vous pouvez donc admirer mes talents de diplomate puisque 1: le téléphone est resté intact. 2: je n’ai pas traité mon radiologue d’une quelconque maladie vénérienne, ni même d’un banal « enculé » et 3: je ne divulgue même pas l’identité de ces hémorroïdes humaines. Confiez-moi donc l’Ukraine et Gaza.)

Quand j’étais ado, il n’y  avait pas de téléphones portables ni de mails, ni de messageries instantanées (oui, je parle comme un homme préhistorique ou Michel Sardou.) et du coup, on se donnait des rencards par téléphone fixe. On appelait, un peu tremblant, on décrochait, un peu hésitant, et on essayait de se retrouver au cinéma, ou à La cigogne, place des clercs à Toul, pour siroter des Monaco et passer un bras sur une épaule. 

Bref, le téléphone fixe, pour moi, était associé à de l’insouciance (et bon, des désillusions, mais c’est les règles du jeu)

Je raccroche donc le combiné et dans ma tête, instantanément :

Ok, j'ai un cancer.

- Je ne peux plus aller travailler (C'est pas forcément la pire nouvelle de la journée.)

-Je vais être dépendant

- Je vais avoir un traitement que je ne connais pas (rayons, chimio, opération)

- Je vais perdre mes cheveux (C'est marrant. Je ne tiens pas particulièrement à mes tifs, mais c'est vrai que j'y ai pensé rapidement. Comme si je voulais m'y préparer.)

- Je vais peut-être mourir. (Elle est peut-être là, la pire nouvelle de la journée.)


Cette liste s'est imprimée dans ma tête et j'acceptais chaque étape au fur et à mesure que je les énumérais. C’était la règle de ce jeu. 

Puis je sortais le mien, de téléphone et j'appelais mon merveilleux docteur, mes parents et ma soeur.

Moi qui ne m'étais jamais battu de ma vie, sauf peut-être contre des housses de couettes, des écouteurs filaires emmêlés et des emballages "ouverture facile",  j'allais finalement  devoir m'y mettre...

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