lundi 29 juillet 2013

I Don't need no Doctor / Ray Charles



Si vous êtes un garçon, vous savez que pour devenir un homme, son fils, le chemin est long pénible et semé d'embûches.
Cette terrible ascension pour arriver au sommet de cette pyramide de maturité et de sueur bâtie sur les corps de vos ennemis est jalonnée d'expériences plus ou moins traumatisantes qui vous façonnent, vous burinent, vous élèvent, vous font douter et finalement vous font voir la vie avec sagesse, philosophie et poils sous les bras.

Par exemple, il y a:

-La première fois que vous tapez dans un ballon et que vous ressentez ce plaisir exquis de transmettre toute votre énergie dans une sphère de caoutchouc pour vous défouler et vous sentir vivant, triomphant sur la gazon, heureux du combat que vous vivez, prêt à goûter la saveur particulière de la victoire et des cris de fans hystériques.
(comme généralement cela arrive vers l'âge de 2 ans, vous ne saisissez malheureusement pas encore l'aspect métaphysique du football et vivez en revanche une grande frustration quand vous vous rendez compte que le ballon ne s'enflamme pas sous l'effet de votre force prodigieuse, ne se déforme pas sous l'impact du choc contre votre pied et ne creuse pas de sillon dans un terrain de 4 kilomètres de long en raison de la vitesse supersonique prise lorsque vous avez shooté dedans.)


-La première fois où vous allez à l'école tout seul.
Sans être accompagné par vos parents.

-La première fois où vous allez au cinéma tout seul. En choisissant vous-même le film que vous allez voir.
Pour ma part, c'était Impitoyable, de l'immense Clint Eastwood, en 1992 et je me souviens encore de cette séance comme si c'était hier.

-La première cigarette, avec son goût de noisette salée, qui fait tousser.

-La fois où vous obtenez votre permis de conduire et que vous sentez le souffle de la liberté souffler sur votre visage.
Vous pensez faire instantanément faire partie de cette classe, de ce groupe d'élus qui parle de soupapes, de chevaux, d'arbres à came et d'ailerons démesurés.
Vous sentez à présent combien l'essence sent bon, vous appréciez le contact de l'huile sur vos mains, vous vous bercez du doux cliquetis des clés à cliquet, vous humez l'odeur de la gomme brûlée et surtout, vous voyez ce magnifique ruban d'asphalte comme un animal sauvage, une créature à dompter au volant d'une Mustang fougueuse, ivre de son V8 surpuissant qui n'attend qu'un geste de votre part pour vous propulser dans la stratosphère et vous emmener aux côtés de Schumacher, Prost, Senna et ces centaines de pilotes accros à l'adrénaline, qui ne connaissent pas la peur et qui risquent leur vie chaque dimanche pour un shoot à 300 km/h.
(et là, généralement, vous vous retrouvez à aller à l'Université au volant d'une Renault 19 diesel pas turbo sans direction assisté, à la souplesse d'un bloc de béton, véloce comme un tank rouillé à la manoeuvrabilité d'un supertanker et c'est la deuxième grande frustration de votre vie...)

-La première bière, qui pique le nez.

-La première fois où vous invitez une fille à boire une bière que ne vous pique plus le nez depuis longtemps.

-La première fois où, après la bière, vous l'invitez au restaurant.

-La première fois où, après le restaurant, vous vous réveillez à côté d'elle.

Et toutes ces épreuves, une fois passées, vous amènent un peu plus près du sommet de la grande Ziggourat, cette pyramide élevée à votre gloire sous le poids de la peine et des pains dans la figure.

-Et il y a cette fois, où, à 34 ans, pleinement conscient de votre corps et de votre esprit, vous devez aller à la visite médicale de la Médecine du Travail.
Une épreuve au milieu d'un immeuble perdu au fond d'Aubervilliers, au milieu des affiches de préventions contre les MST et le harcèlement au travail.
Un instant d'angoisse où, face à une employée de la fonction publique qui pense déjà à ses prochaines vacances, vous devez vous absenter quelques secondes pour rapporter avec fierté et nonchalance conjuguées le fruit d'un labeur terrible: Un flacon d'urine.
De longues minutes à se concentrer, oublier les erreurs du passé, ne pas penser à la liste de courses du soir pour se concentrer sur un objectif primordial:

Offrir un verre de pisse.

Les moins chanceux ne pourront jamais.
Dépassés par l'enjeu, écrasés par la pression sur leurs épaules, ou alors incapables car ils n'auront tout simplement pas pu, quelques heures avant, s'empêcher d'aller satisfaire le premier besoin naturel de la journée, ils ne sauront que bredouiller un faible "jesuidésolémaiscenépapossible" avant de se rasseoir, penauds, conscients que le sommet de la Ziggourat avec ses poils sous les bras, ses verres de whisky et ses cigares ne sera pas pour tout de suite.

Les plus malins d'entre nous boiront donc 8 litres d'eau la veille avant de filer à la consultation sans passer par la case sanitaires pour être certains de réussir, malgré une pression à coller un ulcère à Ban Ki-Moon avec cette assistante qui, patiemment, attend, à produire quelques quelques gouttes.
Mais cette stratégie, si elle peut s'avérer payante et vous offrir le jackpot peut aussi se révéler être la pire des tortures et vous offrir, dans le pire des cas, humiliation en vous rendant humide du caleçon.

Ce matin, j'avais donc mon rendez-vous à la Médecine du Travail.
Alors comme je suis pragmatique et que je prépare généralement bien mes entretiens, je me suis levé, je me suis étiré et je suis allé aux W.C...

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